par Véronique Dethier
Cette fiche résume tout d’abord l’état des connaissances des effets des environnements de travail physique sur différents niveaux de la créativité : individuel, équipe et organisationnel. Ces connaissances sont issues d’une revue systématique des recherches sur 17 articles réalisée par Meinel et al (2017). Les catégories d’éléments de l’environnement physique étudiées sont : les éléments de bureaux tangibles et intangibles, la disposition spatiale et les types d’espaces propices. Ensuite, nous présentons un modèle des types d’espace qui permettent deux formes de comportements créatifs, à savoir s’engager ou se désengager avec des personnes, des informations ou des idées (Williams 2013, Williams 2015, Grooves & Marlow 2016).
Enfin, nous résumons un article (De Paoli et al 2017) qui relève les imaginaires et les contradictions des aménagements d’espaces de travail qui se disent créatifs.
Meinel et al. (2017) offrent une revue systématique des recherches sur les effets des environnements de travail physique sur différents niveaux de la créativité : individuel, équipe et organisationnel. Ils en ressortent 3 catégories d’élément de l’environnement physique de travail qui influencent la créativité : les éléments de bureaux (tangibles et intangibles), la disposition spatiale et les différents types d’espace nécessaires.
Pour cela, ils ont analysé 17 articles publiés entre 1997 et 2016 (voir liste des articles dans l’annexe). Il est important de garder à l’esprit que les méthodes utilisées pour ces recherches sont très différentes les unes des autres et que les résultats reposent parfois sur des auto-évaluations de créativité ou sont liées à des domaines spécifiques. En tenant en compte de ces potentiels biais, les différents résultats de cette recherche sont repris sous forme de tableau :
IMPACT POSITIF | IMPACT NÉGATIF | |
SON | Sons positifs comme de la musique, du silence ou l’absence de bruit (Dul & Ceylan, 2011, 2014; Dul et al., 2011) (impact non significatif toutefois pour Steiner (2006) et Lee (2016)). |
Sons négatifs, comme du son trop élevé. (Alencar & Bruno-Faria, 1997; Stokols et al., 2002, Hoff & Öberg, 2015; Martens, 2011) |
COULEURS | Les couleurs influencent la créativité mais les résultats empiriques sont contradictoires, sur les effets des couleurs froides (bleu, vert, mauve) ayant un effet positif ou négatif et les couleurs chaudes (rouge, jaune, orange), ayant un effet positif ou trop stimulant. (McCoy and Evans (2002), Ceylan et al. (2008), Dul & Ceylan, 2011, 2014; Dul et al., 2011). Haner (2005) propose d’utiliser des couleurs chaudes pour les phases divergentes et froides pour les phases convergentes. Hoff and Öberg (2015) et Lee (2016) suggèrent que l’effet des couleurs dépend de la perception individuelle de la couleur. Ils montrent également que les environnements sans couleur sont par contre négatifs pour la créativité. |
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LUMIÈRE | Les résultats sont contradictoires. Beaucoup d’études mettent en évidence l’importance d’une lumière suffisante ou de la lumière du jour pour la créativité, différentes taches pouvant requérir des niveaux de lumière différents. (Alencar & Bruno-Faria, 1997; Ceylan et al., 2008, Dul & Ceylan, 2011, 2014; Dul et al., 2011; Hoff & Öberg, 2015, Hoff & Öberg, 2015). Certaines études montrent que des espaces sombres peuvent favoriser la créativité, les participants se sentant moins observés et contrôlés (Steidle and Werth, 2013). Enfin, impact non significatif ni de la quantité, ni de la qualité pour McCoy and Evans (2002). En conclusion, une lumière cohérente et contrôlable serait un déterminant de la créativité. |
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TEMPÉRATURE | Une température adéquate.
(Dul & Ceylan, 2011, 2014; Dul et al., 2011). |
Une température trop chaude. (Alencar & Bruno-Faria 1997, Martens, 2011). |
ODEUR | Une odeur positive (air frais ou absence de mauvaise odeur). (Dul and Ceylan (2011, 2014) et Dul et al. (2011). Lee (2016) n’a pas pu confirmer ces résultats.) |
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MOBILIER | Du mobilier adéquat (chaises, tables, armoires), confortable, ergonomique et mobile a une influence positive.
(Alencar and Bruno-Faria (1997), Dul & Ceylan (2011, 2014), Dul et al. (2011), Vithayathawornwong et al.’s (2003), McCoy and Evans (2002), Hoff & Öberg (2015)). Ceylan et al. (2008) ne trouvent pas d’impact significatif. |
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PLANTES | 7 articles confirment l’apport positif sur la créativité de la présence de plantes et fleurs, notamment par les couleurs plaisantes et le côté naturel qu’elles apportent. (Shibata & Suzuki (2004), Ceylan et al. (2008), Hoff and Öberg’s (2015), Dul & Ceylan (2011, 2014), Dul et al. (2011), Steiner (2006)) |
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EQUIPEMENT DE BUREAU | Présence d’équipement low-tech (tableaux blancs et flipcharts) ou high Tech (connectivité wifi et médias audio-video). (Lee (2016), Vithayathawornwong et al. (2003), Ceylan et al. (2008), Hoff and Öberg (2015), Haner (2006), Magadley and Birdi (2009)) |
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FENÊTRE / VUE | Vue en général et vue sur la nature. (McCoy and Evans (2002),Ceylan et al. (2008), Hoff and Öberg (2015), Dul & Ceylan (2011, 2014), Dul et al. (2011)) |
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ÉLÉMENTS DÉCORATIFS | Objets personnels, art, livres ou lampes ont un impact positif sur la créativité par la complexité et le détail visuel qu’elles apportent et par leur aspect d’inspiration. (McCoy and Evans (2002), Hoff and Öberg (2015), M. Meinel, et al (2017). |
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MATÉRIAUX & SURFACES | Matériaux employés de type naturel comme bois, marbre et cuir sont perçus comme des environnements avec un grand potentiel créatif. (McCoy and Evans, 2002). | Matériaux employés de type synthétique comme stratifié plastique, fibres synthétiques, tapis et acier sont perçus comme des environnements avec peu de potentiel créatif. (McCoy and Evans , 2002). Ceylan et al (2008) n’ont pas pu confirmer ces résultats. |
INTIMITÉ vs VISIBILITÉ | L’intimité favorise la créativité par la concentration. La visibilité entre les personnes favorise la créativité d’équipe. (Dul & Ceylan (2011, 2014), Dul et al., 2011,) Stokols et al. (2002), Toker & Gray (2008), Haner (2006), Hoff and Öberg (2015)). |
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FLEXIBILITÉ, CUSTOMISATION & ÉQUILIBRE INTIMITÉ / INTERACTIONS | La flexibilité des espaces, la customisation de l’espace par les individus et l’équilibre intimité/interactions ont un impact positif sur la créativité. (Steiner (2006), Martens (2011), Hoff & Öberg (2015), Haner (2006), Lee (2016)). |
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AMÉNAGEMENT DE L'ESPACE DE TRAVAIL | Des espaces avec des possibilités flexibles ont le plus d’impact positif par rapport aux open-space et aux bureaux individuels. (Vithayathawornwong et al. (2003), Toker and Gray (2008), Hoff & Öberg (2015), Martens (2011), Steiner (2006)). |
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TAILLE DE L'ESPACE DE TRAVAIL | Une distance confortable entre les individus, et suffisamment d’espace pour des petites réunions, des visites et du travail de prototypage. (Vithayathawornwong et al. (2003), Hoff & Öberg (2015)) McCoy and Evans (2002) ne trouvent pas d’impact significative) |
Manque d’espace. Alencar and Bruno-Faria (1997) |
COMPLEXITÉ DE L'ESPACE DE TRAVAIL | Le degré de complexité de l’espace de travail dépend du nombre d’éléments structurels et des formes dans cet espace. Les résultats sont contradictoires : Ceylan et al. (2008) trouvent qu’un design épuré offre un potentiel créatif élevé, alors que McCoy&Evans (2002) montrent que c’est le cas pour des espaces de travail avec une grande complexité spatiale et visuelle. |
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ESPACE DE RELAXATION | La présence d’espaces de relaxation. (Steiner (2006), Martens (2011), Hoff & Öberg (2015))Lee (2016) n’a pas pu confirmer ces résultats. |
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ESPACE PERMETTANT DE SE DÉSENGAGER | Un espace qui permet de se désengager est un espace qui permet de se couper des activités liées au travail, des espaces sociaux, comme des espaces de jeu ou des espaces pour prendre le café. Ils sont très favorables à la créativité. (Lee (2016), Vithayathawornwong et al. (2003), Hoff & Öberg’s (2015), Steiner (2006)). |
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ESPACE "DOODLE" | Dédié aux réunions formelles ou informelles (salles fermées ou corridors), leur présence est favorable à la créativité, d’autant plus s’ils sont décorés d’objets inspirants. (Lee (2016), Hoff and Öberg (2015)) |
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ESPACE INSOLITE / FUN | Les formes (plafonds, escaliers, fenêtres, etc) ou les éléments de design ou de signalétique insolites n’ont pas d’effet direct sur la créativité. (Lee, 2016). |
En conclusion, les éléments favorisant la créativité sont un environnement de travail agréable (plantes, sons positifs, odeurs positives), un équipement adapté, un équilibre entre espaces fermés et ouverts, ainsi que la disponibilité d’espaces de relaxation et d’interactions sociales.
En revanche, trop de bruit, des températures trop élevées et la présence de matériaux de type synthétique sont néfastes pour la créativité.
Les suggestions faites par Amabile (1996, p249), Haner (2005) et Dul & Ceylan (2011) portent sur le type d’espace qui peuvent stimuler la créativité: l’espace doit être stimulant cognitivement et au niveau des sens, permettre les activités individuelles et de groupe ainsi que les approches convergentes et divergentes. De Paoli et al (2017) insistent sur l’importance d’avoir un équilibre entre espaces de rencontre et espaces de concentration plus individuels.
Dans sa thèse, Williams (2013) conceptualise un modèle des comportements créatifs qui décrit deux catégories principales de comportements qui permettent la créativité dans un espace de travail : « S’engager » ou de « se désengager ».
Le processus créatif nécessite tout d’abord de s’engager avec des personnes, des informations et des idées, de manière délibérée ou en créant des opportunités de rencontres de sérendipité. Il nécessite ensuite de se désengager des autres pour permettre de se concentrer et de s’engager cognitivement dans la réflexion. Enfin, il nécessite à certains moments de se désengager du problème de manière plus ou moins longue. Ce modèle reprend les comportements suivants :
S’engager | Se désengager | ||||
S’engager délibérément avec personnes, informations et idées | S’engager par chance avec personnes, informations et idées | Se désengager des autres et du contexte par le mouvement physique | Se désengager des autres et du contexte par le mouvement mécanique | Se désengager du problème ou du contexte par de petites distractions | Se désengager des autres, du problème ou du contexte par des périodes de temps plus longues |
Williams (2013) – Résumé des catégories des comportements qui stimulent, renforcent et supportent la créativité du lieu de travail - p99 et 126.
Groves & Marlow (2016, 127-130) présentent un modèle des espaces qui supportent ces différents comportements créatifs, développé par Williams(2015) sur base des travaux de Duffy & Powell (1997). Il s’agit du Den (« la Tanière »), du Bazaar, du Dwelling (« la Demeure »), du Neighbourhood (« le Quartier») et de la Plaza (« la Place »). Ces espaces se répartissent en fonction de 2 axes : S’engager <-> Se désengager et Individuel <-> Groupal.
Groves & Marlowe (2016, p127)
De Paoli et al (2017) ont analysé les espaces de travail de 40 organisations qui se disent créatives. Ils notent avec étonnement une vision standardisée et stéréotypée des aménagements des espaces de travail créatifs sur 5 thématiques récurrentes. Ces thématiques reflètent des valeurs sous-jacentes d’un certain imaginaire de la créativité:
Les auteurs relèvent également dans ces espaces de travail 3 contradictions sur la conception de la créativité organisationnelle :
Les espaces de travail analysés sont principalement conçus pour la créativité collective et pour des personnalités extraverties avec une haute tolérance au bruit et à la distraction, mais laissent peu de place à la créativité individuelle.
Les espaces de travail sont majoritairement conçus par des professionnels comme si le design d’un type d’espace pouvait avoir un pouvoir créatif en lui-même. Des recherches récentes suggèrent à l’inverse l’importance de la relation entre l’espace et les individus et par-delà, le bénéfice d’impliquer plus fortement les utilisateurs dans la co-création de leur espace de travail. De plus, ces espaces conçus tiendraient trop peu compte de l’importance du corps humain dans le processus de créativité.
Les espaces conçus transfèrent l’idée que la créativité nécessite seulement des espaces hors du commun alors que les récits de personnes créatives montrent que les idées apparaissent aussi dans toutes sortes de lieux et que leur apparition est souvent non planifiée.
Les 17 articles analysés par Meinel et al (2017)